jeudi 30 décembre 2010

L'invention des technosciences

Dans l'Antiquité, Aristote voyait la science comme une activité théorétique, une contemplation (observation) de la nature. De cette nature de tous les jours, dans notre monde contingent et imparfait, il pensait qu'on pouvait remonter vers les structures fondamentales de l'univers, et connaitre les premiers principes. A cette époque, la science est valorisée comme une étude intellectuelle, alors que l'activité technique (l'action -praxis- ou la production -poiesis-) est complètement déconsidérée.

La science est ainsi séparée de la technique jusqu'à la Renaissance. Et pour cause, la valeur de l'expérimentation est maintenant mis en avant. Un changement dans les mentalités s'opère. La théorie doit se confronter à la réalité du monde, et toute une technique d'outils et de machine se développent pour étayer la théorie. A cette époque, la théorie est encore prévalente, mais la technique n'est plus rejetée, elle vient la supporter. La science est jugée essentielle à l'émancipation de l'être humain. Savoir, c'est pouvoir. Celui qui a la science peut transformer le monde qu'il habite.

Mais à l'aube du XXe siècle, la tension s'inverse. Dorénavant la théorie n'est plus supportée par la technique, mais c'est la technique qui demande le support de la théorie. Pour fabriquer des instruments pointus, le scientifique doit faire intervenir sa théorie. Ce mélange entre science et technique aboutit à un effacement de la frontière entre les deux ordres, à tel point que selon certains, il ne faudrait plus parler de sciences et de techniques séparément, mais plutôt de "technosciences".

Cette fusion de la technique et des sciences s'accompagne aussi d'une fragmentation du savoir en différentes disciplines qui semblent hermétiques les unes aux autres mais qui, paradoxalement, ont besoin, de plus en plus, de recourir à d'autres disciplines (pour se compléter, pour élaborer des outils, pour lire des résultats...)

La théorie devient un processus nourri par la technique. Le progrès n'est plus la proximité grandissante de la vérité, mais la construction de la vérité. Du même coup, une erreur théorique n'a plus simplement un impact sur la seule vie de la pensée, mais au contraire a des implications concrètes dans la vie réelle. Ainsi ont émergé les questions éthiques en science.

mardi 28 décembre 2010

Houellebecq ou l’humanité obsolescente

Le site OWNI.FR a consacré ces derniers jours deux articles à Michel Houellebecq. Non pas à cause de son récent prix Goncourt, mais plutôt pour parler de ses positions... disons très posthumanistes au premier abord.

Dans un premier article, il est question de la vision de l'homme de Michel Houellebecq : il est marqué par l'obsolescence, comme les objets culturels qu'il fabrique, il sera amené à disparaitre (ou à évoluer en se soumettant à la frénésie capitaliste). Mais l'auteur de l'article indique qu'il faut savoir lire le cynisme de Houellebecq et ne pas trop s'y tenir. Houellebecq est au fond "un moraliste", nous dit-il, il critique une société simpliste, et en recherche une meilleure, où l'homme, l'amour et le bonheur pourront s'épanouir.

Dans le deuxième article, il est fait état d'un rapport entre le dernier livre de Houellebecq, La carte et le territoire et les Fab Lab (impression d'objets en 3D). Je vous laisse découvrir ça.

vendredi 24 décembre 2010

L'outil au service de l'homme

Dans Principes d'une philosophie de la technique, en 1877, le philosophe Ernst Kapp présente, pour la première fois, l'outil qu'utilise l'homme comme un prolongement de ses organes, de ses membres, de ses capacités.

A partir de là, deux postures philosophiques semblent possibles. Soit on considère que l'outil ne vient que prolonger des capacités humaines acquises, de telle sorte que ces capacités puissent être quantitativement améliorées. Soit on considère que l'outil a pour fonction de mettre à la disposition de l'homme des capacités qui lui sont étrangères. Dans le premier cas, l'outil n'est qu'une manière d'amplifier les pouvoirs humains qu'on estime être les meilleurs. Dans le second cas, l'outil vient ajouter une toute nouvelle fonction à l'homme, qui est alors conçu comme une machine sur laquelle on viendrait articuler des membres artificiels.

Dans le premier cas, l'outil viendrait réaliser plus complètement ce que l'on perçoit comme étant la nature humaine, dans un but d'émancipation, tandis que dans le second cas, aucune nature humaine à réaliser ne serait la ligne d'horizon de l'amélioration technique. L'être humain serait modifiable à l'infini, selon ses besoins,... et sans craindre, à un moment donné, de le dé-naturaliser ou de lui faire perdre sa dignité naturelle.

Ainsi peut-on peut-être tenter d'expliquer la différence entre les technophobes et les technophiles.

mardi 21 décembre 2010

Sélection de liens

  • Depuis un petit temps, on savait qu'il était proposé aux armées (ici ou )d'acquérir des exosquelettes pour améliorer les performances de leurs soldats ; il semble maintenant que ces mêmes exosquelettes s'exportent dans le domaine de la médecine.
  • Oxford organise du 12 au 14 juillet 2011 un colloque consacré à la Cyberculture. Au programme : philosophie, politique, science-fiction, littérature...
  • La découverte récente des Memristors, cette résistance qui fonctionne comme un neuronne, avait laissé entre voir des applications possibles assez bluffantes comme celles de remplacer les neurones humains, de parvenir enfin à une réelle intelligence artificielle, et de permettre à terme le mind uploading. Ce n'était encore que de la fiction, mais il semble que des scientifiques mettent maintenant un point d'honneur à développer cette application.
  • Des designers pourvus d'un peu d'audace ont voulu renouveler l'esthétique de la prothèse. Au lieu de concevoir une prothèse qui imite le plus possible le bras perdu, ils ont plutôt essayé de concevoir un autre type de prothèse... qui semble bien être également très utile : une tentacule !

samedi 18 décembre 2010

Troisième oeil

Cela fait quelque jour que la performance artistique de Wafaa Bilal a commencé. (Je l'avais annoncé dans mon billet du 1er décembre.)

Le 14 décembre dernier, à 16h, Wafaa Bilal a allumé la caméra qu'on lui avait fixé à l'arrière du crâne et a commencé à envoyer les images filmées sur Internet et dans un musée du Qatar.

Vous pouvez surfer sur son site web pour découvrir les images qui y sont déjà présentes, mais il semblerait que le site soit encore en cours de construction, et que la caméra ne prenne que des images de 16 à 17h.

mercredi 15 décembre 2010

Brève histoire du post-humain

Cet article est inspiré de MAESTRUTTI M., "Posthumain. Une anthropo-philosophie de la technologie", in Dictionnaire des risques, DUPONT Y., et al. [eds.], Paris, Armand Colin, 2007. Nous utilisons également LECOURT D., Humain, posthumain, Paris, PUF, 2003.

Le posthumanisme cherche à revoir complètement la définition habituelle de l'humain, dans son statut ontologique comme dans son identité par exemple. Des artistes tels que Stelarc, Orlan, Matthew Barney ou encore David Cronenberg illustrent bien cette interrogation autour de l'homme, de la frontière entre les genres, entre les humains et les animaux, entre les corps et les machines.

Le précurseur en la matière est sans doute le critique d'art américain Jeff Deitch qui organisa en 1992 une exposition intitulée Post-human.

Le thème du posthumain, d'un point de vue philosophique, émerge en opposition à l'anthropocentrisme et à l'humanisme ambiant. Les valeurs de la modernité sont délaissées au profit de la postmodernité. Il insiste d'autre part sur l'importance des technosciences et sur l'antériorité ontologique de la technique sur l'homme. Les philosophes de référence pour les tenants du posthumanisme sont Foucault, Deleuze, Haraway...

Il existe plusieurs branches au sein de la "philosophie" posthumaniste. Certains prônent l'émancipation de l'intelligence hors du corps de l'homme. Son esprit serait alors stocké sur des matériaux mieux adaptés, ou il serait progressivement remplacé par des machines pensantes bien plus performantes que lui (Moravec, Minsky, Kurzweil, Hayles). D'autres, les transhumanistes, voient le monde comme s'approchant inéluctablement d'une plus grande maitrise technologique qui aboutirait à la possibilité, pour l'homme, de s'améliorer jusqu'à la perfection et l'immortalité (Esfandiary, More, Vita-More, Bostrom, Pearce). D'autres encore voient le corps comme un élément-clé de l'humain, jouant un rôle important dans sa conscience par exemple, et estiment harmonieuse une future intégration de l'homme à la machine sans que l'un éclipse jamais l'autre (Clark).

mardi 7 décembre 2010

Le conseil bioéthique d'Obama

George W. Bush, quand il était président, a créé un conseil de scientifiques qui était censé informer ses décisions politiques, pour tout ce qui concernait les questions bioéthiques. Le President's Council on Bioethics était dirigé par Leon Kass, de 2001 à 2005, puis par Edmund Pellegrino, de 2005 à 2008.

La chronique a surtout retenu Leon Kass, car il se disait en coulisse qu'il inspirait toutes les idées conservatrices de George Bush. On l'appelait "le philosohe du président". Et cela n'était pas sans exaspérer les plus libéraux ou progressistes. Ce type avait pondu un texte, avec la collaboration de son conseil (dont faisait partie F. Fukuyama et M. Sandel) qui fit grand bruit : "Beyond Therapy: Biotechnology and the Pursuit of Happiness." Dans ce texte, Kass aborde la question de la médecine d'amélioration, et s'y montre tout à fait opposé au nom de la dignité humaine et d'autres choses semblables.

Avec l'arrivée d'Obama, tout ce beau monde s'est fait virer. On n'avait plus besoin d'eux. Mais Obama a tout de même gardé un comité de bioéthique, dont les pouvoirs semblent moins étendus, et qui examine pour l'instant la biologie synthétique. Ce nouveau comité a pris le nom de "The Presidential Commission for the Study of Bioethical Issues" et a pour président Amy Gutmann.

mercredi 1 décembre 2010

Sélection de liens

  • Juste en passant, je tenais à signaler que le musée d'histoire naturelle de New York a ouvert une grande exposition sur le cerveau. New-York, c'est loin, mais le site internet fourmille d'informations, en ce compris au sujet des améliorations possibles du cerveau.
  • Du 3 au 4 décembre se tiendra un colloque au Center for Inquiry (CFI) consacré à l'amélioration de l'humain. Les sceptiques investissent la question de la médecine d'amélioration, et c'est bien. On pourra enfin y voir clair entre les purs phantasmes et le scientifiquement possible.
  • Un reportage d'Envoyé Spécial consacré à la question du transhumanisme, en février 2010.
  • Un professeur de photographie à l'université de New-York a l'intention de se faire implanter une caméra derrière la tête, et de retransmettre les images capturées depuis ce poste stratégique (une par minute) dans un musée d'art au Qatar. Cela ne va pas sans créer quelque polémique. Vous pourrez aussi consulter son site web.
  • Aux origines du "Wearable Computing", en français pour une fois.